Léon Jean Eugène NAVET

Portrait de Léon Jean Eugène Navet

Chapitre I – Une enfance (1881–fin des années 1890)

Léon Jean Eugène Navet voit le jour le 16 février 1881, à quatre heures du matin, dans le village de Vaulaville, commune d’Hémevez, canton de Montebourg, dans le département de la Manche. Il est le fils de Léon Louis Navet, marchand âgé de trente-six ans, et de Victoire Rosalie Brisset, âgée de vingt-six ans. La déclaration de naissance est faite le jour même par son père, en présence de deux témoins : un instituteur et un cultivateur domiciliés à Hémevez.

Léon grandit dans un environnement rural typique du Cotentin de la fin du XIXe siècle. Le hameau de Vaulaville est entouré de terres agricoles et de haies bocagères, et la vie quotidienne y est rythmée par les saisons, le travail de la terre et les marchés de proximité. Son père, marchand, exerce une activité itinérante qui l’amène à fréquenter les communes voisines, tandis que sa mère s’occupe du foyer.

Il reçoit probablement une instruction élémentaire à l’école communale d’Hémevez, où l’on enseigne les savoirs de base nécessaires pour lire, écrire et compter. Comme de nombreux enfants du monde rural, il participe très tôt aux tâches familiales, ce qui contribue à forger chez lui un sens pratique et une certaine rigueur.

En 1898, son père décède, alors que Léon est âgé de dix-sept ans. Si la cause du décès n’est pas connue, cette disparition représente une étape marquante dans la vie du jeune homme. La perte du chef de famille, dans un contexte encore fortement patriarcal, implique souvent une redistribution des responsabilités au sein du foyer, et probablement pour Léon, l’entrée précoce dans le monde du travail.

Chapitre II – Installation à Montebourg et mariage (1900–1906)

Au tournant du XXe siècle, Léon Jean Eugène Navet quitte le village de Vaulaville pour s’installer à Montebourg, petite commune active du nord du Cotentin. Située sur un axe de passage important, cette ville offre un environnement propice à l’artisanat et au commerce. Léon y exerce le métier de boucher, activité exigeante qui lui assure une certaine stabilité et un ancrage professionnel local. Il réside alors rue de Carentan, non loin du centre.

C’est dans cette même ville qu’il rencontre Marie Augustine Léonie Cuquemelle, née comme lui en 1881. Âgée de vingt-quatre ans au moment de leur union, Marie ne déclare pas de profession dans les actes d’état civil. Elle est la fille de Charles Auguste Cyprien Cuquemelle et de Marie Henriette Eudaline (orthographe du second prénom à confirmer), également domiciliés à Montebourg.

La publication des bans a lieu le 24 septembre 1905 dans la commune. Le mariage est célébré peu après à Montebourg, officialisant l’union de deux jeunes adultes issus de milieux modestes, chacun engagé dans la construction d’un foyer stable. Le couple s’installe ensemble dans la maison familiale rue de Carentan.

Le 4 novembre 1906, naît leur premier enfant, Henri Louis Léon Navet, à Montebourg. Trois ans plus tard, le 15 janvier 1909, la famille s’agrandit avec la naissance de leur fille, Louise Augustine Rosalie Navet, également née à Montebourg. À cette époque, Léon assume pleinement son rôle de chef de famille, tout en poursuivant son activité professionnelle.

Sa situation est celle d’un homme ordinaire de la France rurale de la Belle Époque : inséré dans la vie locale, fidèle à ses responsabilités, et déjà inscrit dans un contexte géopolitique incertain, à la veille de bouleversements majeurs.

Chapitre III – Service militaire et Première Guerre mondiale (1902–1918)

→ Voir le dossier militaire complet sur le site des Archives départementales de la Manche

Conformément à la loi sur le service militaire, Léon Jean Eugène Navet est appelé sous les drapeaux au titre de la classe 1901, inscrit au bureau de recrutement de Cherbourg sous le matricule 773.

Ce qui est intéressant, c’est la manière dont l’administration militaire décrivait les soldats de l’époque, presque comme on dresserait le portrait d’un objet à classer. Dans le cas de Léon, on note : yeux gris, cheveux châtains, menton rond, visage ovale, 1 mètre 67. Des mots simples, secs, notés à la va-vite dans une case imprimée, censés résumer un homme tout entier.

À côté de ce portrait physique sommaire, figure une autre mention : “degré d’instruction générale 3”. Cela signifie que Léon possédait une instruction primaire complète, probablement validée par le certificat d’études, un niveau qui n’était pas systématique à l’époque. Il savait donc lire, écrire et compter avec aisance, des compétences précieuses pour un homme de sa condition, et loin d’être universelles parmi les conscrits de son temps.

Il est incorporé au 15ᵉ bataillon d’artillerie à pied le 14 novembre 1902, jour même de son arrivée au corps. Il y est immatriculé sous le numéro 1387 et reçoit le grade de 2ᵉ canonnier servant.

Le grade de 2ᵉ canonnier servant correspond à un soldat de base affecté au service des pièces d’artillerie. Dans un bataillon d’artillerie à pied, cela implique le transport, la mise en place, le chargement et l’entretien des canons, ainsi que la manipulation des munitions et des équipements annexes. Le 15ᵉ Bataillon, comme les autres bataillons d’artillerie à pied, était principalement chargé de la défense de places fortes, de la surveillance des côtes, ou du service de pièces lourdes sur voie ferrée. Ces unités, moins mobiles que l’artillerie de campagne, jouaient un rôle crucial dans la logistique et la sécurité stratégique.

Léon est envoyé dans la disponibilité le 19 septembre 1903, après moins d’un an de service. Il reçoit un certificat de bonne conduite, marque de sérieux et de discipline.

Par la suite, il effectue deux périodes d’exercices en réserve :

Du 24 août au 20 septembre 1908, au 19ᵉ bataillon d’artillerie à pied.

Du 24 février au 12 mars 1911, au 2ᵉ régiment d’artillerie à pied.

La mobilisation de 1914 et les affectations successives

Le 3 août 1914, à la veille de la déclaration de guerre, Léon est mobilisé. Il rejoint le 22ᵉ régiment d’artillerie à pied, puis le 2 juin 1915, il est muté au 3ᵉ régiment d’artillerie à pied. Le 5 juillet 1915, il passe au 9ᵉ régiment d’artillerie à pied, où il sert plusieurs mois avant d’être affecté une seconde fois au 3ᵉ R.A.P., le 8 août 1917, cette fois au sein de la 17ᵉ batterie.

Ces régiments, spécialisés dans l’artillerie de position, assurent un appui constant à l’infanterie, parfois depuis des installations fixes, parfois à proximité immédiate des lignes. Léon manœuvre des pièces lourdes dans des conditions éprouvantes, marquées par l’humidité, la boue, les obus et la fatigue. Il vit la guerre des artilleurs, faite de veille, de réglages minutieux et de tirs de barrage, bien souvent sous la menace de contre-batteries allemandes.

La capture – Chemin des Dames, 26 mai 1918

Le 26 mai 1918, Léon Jean Eugène Navet, soldat au 3ᵉ régiment d’artillerie à pied, 17ᵉ batterie, disparaît au combat lors de l’offensive allemande sur le Chemin des Dames, un jour avant la date officielle de la percée. Il est fait prisonnier dans les premières heures de ce qui deviendra l'une des plus grandes avancées allemandes du conflit.

Cette attaque, connue sous le nom d’opération Blücher-Yorck, commence dans la nuit du 26 au 27 mai 1918 par un bombardement massif, suivi d’un assaut brutal au petit matin. Les lignes françaises, mal préparées et à peine relevées, sont rapidement submergées. Les unités d’artillerie à pied, comme celle de Léon, stationnées à l’arrière du front pour soutenir les batteries lourdes, sont-elles aussi prises dans l’offensive ?

Pris dans le chaos de la retraite, encerclé, Léon est capturé par les troupes allemandes.

Il est interné à Limburg, un camp de prisonniers situé au sud de Cologne. Sa famille reste plusieurs mois sans nouvelles. Son épouse, Marie Léonie Navet, domiciliée rue de Carentan à Montebourg, adresse une demande au ministère le 18 septembre 1918, cherchant désespérément à savoir s’il est vivant.

Un avis officieux, daté du 7 octobre 1918, confirme enfin qu’il est vivant mais toujours détenu, selon la formule manuscrite laconique :

« Revenu Allemagne – Toujours sans nouvelles. »

Ce n’est que le 10 décembre 1918, un mois après l’armistice, qu’il figure officiellement sur les listes de prisonniers :

« Soldat au 3ᵉ régiment d’artillerie à pied, 17ᵉ batterie, disparu depuis le 26 mai 1918. Mme Navet, épouse, rue de Carentan, Montebourg (Manche). »

Chapitre IV – L’après-guerre et le poids du silence

À son retour de captivité, probablement à la fin de l’année 1918 ou au tout début de 1919, Léon Jean Eugène Navet retrouve son foyer à Montebourg. Il y rejoint son épouse, Marie Augustine Léonie Cuquemelle, et leurs deux jeunes enfants : Henri Louis Léon, et Louise Augustine Rosalie. Après des années de séparation, la famille se reforme dans un contexte encore marqué par les conséquences du conflit mondial.

Léon reprend son métier de boucher, profession qu’il exerçait déjà avant la guerre. A Montebourg, encore marquée par les privations, on peut supposer qu'il contribue à sa manière à la vie locale et à la reconstruction du tissu social. A supposer également que la boucherie familiale constitue non seulement une source de revenus, mais aussi un point de repère dans le quartier.

Les années qui suivent sont empreintes de discrétion. Aucune trace ne permet de dire s’il s’est investi dans la vie publique ou associative. Tout indique qu’il a mené une existence simple, centrée sur sa famille, son travail. Comme de nombreux anciens combattants, il doit porter sans doute les stigmates invisibles de la guerre et de la captivité.

En 1923, il est administrativement rattaché à la classe 1878, en vertu de la loi du 1er avril 1923, qui permet aux pères de deux enfants de bénéficier d’un régime allégé dans les obligations militaires. Il est alors affecté à la réserve du 5ᵉ régiment d’artillerie à pied, jusqu’à sa libération définitive du service militaire le 1er octobre 1930.

Léon Jean Eugène Navet décède à Montebourg en avril 1931, à l’âge de cinquante ans. Selon les souvenirs transmis dans la famille, il s’est donné la mort. Ce geste, à une époque où le suicide était encore tabou, n’a jamais été évoqué publiquement, mais il a laissé une trace durable dans la mémoire familiale.

Avec le recul, il est difficile de ne pas voir dans ce geste la conséquence d’une vie marquée par des années de guerre, de captivité, et d’efforts pour reprendre une existence normale. Aujourd’hui, il ne s’agit plus de juger ni de cacher, mais simplement de comprendre, et de respecter ce que cet homme a traversé.

Il laisse derrière lui deux enfants, une épouse, et l’image d’un homme qui a tout donné sans jamais faire de bruit. Son histoire mérite d’être racontée, pour ce qu’elle fut : celle d’un homme de son temps, marqué à jamais par la Grande Guerre.

Galerie d'archives

Les documents suivants ont été réunis pour retracer le parcours de Léon Jean Eugène Navet.

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